Chapitre 3 – De l’autre côté du mur
Au pied du mur, nous nous sentons stupides. Comment passe t-on de l’autre côté ? Les fissures ne sont que des fentes, beaucoup trop étroites. Sarek propose d’escalader le mur en passant par la façade d’une maison abandonnée qui constitue une partie du mur. A l’aide d’une corde, nous commençons à grimper. Le T’Skrang se concentre régulièrement et lance une sorte d’enchantement sur la corde : elle se détache alors, et nous pouvons la réutiliser.
La partie de l’ascension la plus difficile est celle que nous entreprenons à même la paroi, puisqu’il n’y a plus les étages de la maison pour nous faciliter l’escalade. Enfin nous arrivons au plafond de Nevespya. Jamais auparavant, je n’ai pu m’aventurer à cet endroit. Je peux contempler tout le Kaer en dessous de nous, et j’aperçois au loin les maisons, les temples, mais surtout la barricade ou se trouvent nos voisins, nos parents, nos frères.
Ronan, Lucie et Sarek ont déjà commencé à se glisser à travers une ouverture située juste sous le plafond. Je les suis et pour la première fois de ma vie, j’aperçois la partie murée du Kaer.
Nous restons muets pendant quelques instants à contempler l’autre ville qui s’étend en dessous de nous. Dans une partielle obscurité, les maisons en ruines ressemblent à celles que nous habitons. Il n’y a aucun mouvement, mais toutes les surfaces, sols, murs, toits, et le plafond, sont recouverts d’une fine couche de glace.
La descente est un peu plus simple, mais nous faisons attention a ne pas glisser. La maison qui nous a servi à escalader le mur a une façade qui émerge de l’autre côté. Nous l’utilisons à nouveau avant de nous retrouver dans une rue.
J’expérimente alors avec mes amis la marche sur la glace. Je n’ai jamais essayé, mais comme dit l’oncle Turokh, il y a un début à tout ! Ce début est difficile, je dois l’avouer. Je me retrouve plusieurs fois de suite à quatre pattes tandis que nous progressions dans les rues à la poursuite de notre adversaire. Nous ne savons pas ce qu’il est, ou il est. A quoi ressemble t-il ? Pouvons-nous seulement le vaincre ?
A nouveau l’angoisse m’étreint alors que des revenants s’approchent de nous, ainsi que des araignées de glace. Nous devons a nouveau combattre, mais cette fois, nous ne sommes pas en position de force a cause de la glace. Je pousse juron après juron alors que mes coups maladroits ratent les non-morts et que je m’étale à leurs pieds. Leurs coups et leurs morsures m’ont beaucoup affaibli. Je viens de me rendre compte que je suis blessé.
Ronan Quiger, l’humain, nous fait accélérer le pas. Plus nous attendrons, plus ces hostiles seront nombreux. Et ils finiront par nous avoir. Je suis vexé de devoir le reconnaitre, mais je finis par me rendre à l’évidence qu’il a raison. Je serre les dents à cette pensée de devoir fuir, et nous reprenons le chemin.
Sarek est fou, c’est sur. Lui qui était peu bavard depuis le début de notre aventure se met soudain à raconter la vie de l’horreur, comme s’il la connaissait depuis des années. Il nous raconte qu’à son arrivée il y a des siècles, l’Horreur a contaminé une maison qui fut recouverte et remplie de glace. C’est a ce moment que le froid et le givre se sont répandus dans le Kaer, et que les non morts et les araignées de glace ont commencé a traquer les vivants.
Je le regarde, les yeux ronds. Au moment où je vais lui demander comment il sait tout cela, nous arrivons à l’intersection de deux rues, et plongé dans la pénombre nous apercevons un gigantesque tas d’ossements. J’ai peur que ces ossements ne soient ceux de bon nombre de mes ancêtres. A quelques centaines de pas derrière le monticule, se trouve une maison qui semble coulée dans une colonne de glace gigantesque. Elle brille faiblement d’une aura bleutée. Nous nous regardons et comprenons que nous sommes face à l’horreur, ou du moins à son repaire.
Quatre cadavéreux que nous n’avions pas vu approcher s’approche de nous rapidement et nous encerclent. Je pense que le combat va être bref, mais il n’en est rien. Je glisse une fois de plus sur la couche de glace et rate mon coup en tombant au sol. Le cadavéreux qui me fait face en profite pour me frapper, me griffer et me mordre. Je crois ma dernière heure arriver et même si je ne l’avouerai jamais à personne, j’ai peur. Heureusement, mes amis aux alentours s’interposent et le cadavéreux s’effondre alors que je suis par terre, roulé en boule à attendre le coup fatal.
Plus rien ne peut s’interposer entre nous et l’Autre. Sarek, décidément bien renseigné sur notre ennemi, affirme d’une voix neutre que la colonne de glace autour de la maison est l’horreur elle-même, et non son antre. Je n’y crois pas et je lui demande s’il est sur. L’Humain n’a pas attendu et commence à défoncer la porte de glace. Sans réfléchir je m’élance et lui viens en aide.
En quelques coups d’épaule, la porte givrée vole en éclat. L’Elfe restée en retrait utilise ses mains si vives et lance la grenade alors que nous reculons en courant.
L’explosion nous projette au sol et désintègre l’horreur de cristal, son corps de glace et la maison. Nous nous relevons pour observer les effets de notre œuvre. Les derniers cadavéreux qui erraient dans les rues et tout autour de nous s’effondrent brusquement. La couche de glace qui recouvre le sol et les murs des quartiers en ruines disparait progressivement. Nous avons réussi !
Quand nous reprenons le chemin du mur, fatigués mais heureux, notre victoire est déjà connue des habitants de Nevespya : plusieurs dizaines d’entre eux sont déjà en train de démanteler le mur-mausolée. En nous voyant, ils poussent des cris de joie. Je retrouve avec soulagement ma famille, et surtout l’oncle Turokh. J’éprouve un peu de gêne à l’idée d’être au milieu de tous ces gens bruyants qui poussent des hourras, me congratulent et me tapent dans le dos. Je fais de mon mieux pour sourire, mais mes blessures me font mal. Je ne pense qu’à une chose, retourner explorer ce nouvel horizon, et qui sait, peut-être trouver de nouveaux compagnons animaliers…
Ma réflexion est interrompue par des coups sourds qui résonnent dans tout le Kaer. Tout le monde fait silence, alors que ces bruits inconnus se répètent. Nul n’ose y croire. Après tous ces siècles d’attente, il y a quelqu’un à l’extérieur du Kaer. On frappe à la porte !